24 mars 2009

Créativité méthodologique en temps de crise

Après avoir vu les limites des réunions de groupe et présenté quelques premières idées pour leur adaptation en temps de crise (cf notes précédentes, notammment sur les réunions type Tuperware à domicile), voici deux nouvelles idées pour optimiser les budgets et l'organisation des réunions de groupe:
Première idée: la réunion de groupe chez le client. A condition que les bureaux de ce dernier soient proches d'un moyen de transport en commun, et qu'il dispose de salles de réunion neutres pouvant acceuillir une dizaine de personnes (ce qui est quasiment toujours le cas), l'une des manières les plus simples d'optimiser le budget des réunions de groupe consiste à économiser les coûts élevés de location de salle en faisant venir directement les consommateurs dans les locaux du client. Autre gros avantage supplémentaire: en filmant la réunion avec notre caméra et en branchant notre propre cordon péritel sur une télévision dans un bureau voisin si le client ne dispose pas d'une glace sans tain, cela permet à nos clients d'assister en simultané à la réunion en n'ayant plus qu'à prendre l'ascenseur pour rejoindre la salle, sans perdre de temps dans les transports, et sans payer des sommes astronomiques pour une vidéoconférence ou une retransmission internet aléatoire! L'essai que nous avons réalisé dernièrement pour l'un de nos clients qui nous faisait tester une série de stimuli a magnifiquement illustré la souplesse de cette méthodologie, les différents responsables et créateurs de chaque stimulus venant successivement regarder les réactions du public à leur création, en étant libres de regarder les réactions aux autres stimul ou de repartir pour réfléchir à des pistes d'optimisation. En effet, grâce au temps gagné, une phase de re-travail des stimuli a pu être aussitôt enclenchée, et d'autres réunions être menées les jours suivants pour évaluer les nouvelles créations !
Deuxième idée: la ROM, ou Réunion après Observation Mystère. Cette méthodologie que nous avons également testée avec succès consiste à envoyer individuellement les futurs participants jouer au visiteur mystère dans l'enseigne cliente et dans l'enseigne concurrente, en leur demandant de noter toutes leurs remarques ou réflexions dès leur retour à leur domicile. On organise ensuite avec eux une réunion de groupe qui a l'avantage d'être beaucoup plus concrète, enrichie par leur expérience et leurs observations. Cette méthode est particulièrement adaptée pour des enseignes, magasins, lieux publics, tests de nouveaux concepts, en ajoutant ainsi une phase d'imprégnation et d'observation à la réunion de groupe classique.
Deux idées parmi d'autres, pour montrer que la crise représente aussi un moment idéal pour inventer et adapter de nouvelles méthodes !

12 février 2009

Histoire du qualitatif, suite: les analyses sociales du 19°-20°

Reprise de notre brève histoire des études qualitatives, comme promis, en sautant des siècles pour en arriver à notre monde moderne !
Les premières enquêtes sociales apparaissent à la fin du XIX, quand des médecins, des fonctionnaires responsables de cas sociaux, et des prêtres, s’intéressent aux classes défavorisées pour mieux les comprendre et les aider. Ces précurseurs des travailleurs sociaux se déplacent seuls ou en paires, comme les anciens « missi dominici » de Charlemagne (cf notes précédentes), en se faisant parfois accompagner de commissaires de police. Face aux réticences des pauvres à se soumettre à leurs questions, ils se mettent à réfléchir aux méthodes qui leur permettraient de mieux recueillir des informations pertinentes. Ainsi Le Play, en 1862 (in « Instructions sur la méthode d’obtention dite des monographies de famille »), remarquera qu’en plus de noter simplement les faits et observations auxquelles il se livre, l’enquêteur a tout intérêt à gagner la confiance du foyer dans lequel il a pénétré, en laissant parler librementles enquêtés , quitte à accepter des digressions et des thèmes non prévus. « Mieux vaut écouter qu’interrompre » écrira-t-il. Pour la première fois, apparaissent également les « monographies familiales » invitant à tracer le portrait complet d’une famille.Entre 1889 et 1899, l’enquête sociale se fait exhaustive, avec une première recherche de Charles Booth sur les pauvres de Londres (1889 à 1891), puis avec l’enquête de Du Bois en 1899 qui réalise la première analyse complète de la communauté noire de Philadelphie. Il allie pour cela l’étude documentaire, statistique, avec des entretiens non directifs, et avec l’observation participante qui l’amènera à s’installer au milieu du quartier noir étudié.
Au début du XX°, ces enquêtes sociales vont devenir de véritables enquêtes anthropologiques. En 1916, Park, l’un des fondateurs de l’école de Chicago, affirme le pemier que les techniques utilisées par les ethnologues recensant les us, coutumes, croyances et pratiques des indiens d’Amérique du Nord, doivent pouvoir servir de la même manière à étudier les mœurs et modes de vie de quartiers urbains aussi dissemblables que le Greenwich Village populaire, la Little Italy immigrée, ou le quartier plus huppé de Washington Square à New York.
Un nouveau pas est franchi dans les années 1930 lorsque le même Park, associé à Thomas, va fonder dans les années 1930 la célèbre Ecole de Chicago qui privilégiera et thématisera le rôle des enquêtes qualitatives sur le terrain. Reprenant l’ensemble des techniques déjà citées (documentaires, statistiques, observations, entretiens, éclairage ethnologique), ces deux auteurs démontreront que l’ensemble des techniques qualitatives peut s’appliquer, non seulement à des « faits globaux et collectifs », mais aussi à des « micro-collectivités ». Ils prôneront l’analyse de la vie quotidienne des populations concernées, la recherche de leur mode de vie et de leur système de croyances, qu’il faut à chaque fois re-situer dans leur cadre et dans leur environnement habituel. Cette école aura un grand succès pendant la grande dépression des années 30, car les éclairages qualitatifs se contentent de quelques enquêteurs–observateurs pour comprendre un phénomène, et s’avérent moins chers que les recensements statistiques et quantitatifs. Une leçon à méditer en ces temps difficiles...
Elle disparaîtra quasiment des Etats-Unis après la guerre, mais aura eu le temps auparavant de se transmettre en France, en étant à l’origine du qualitatif approfondi « à la française » sur lequel nous reviendrons dans une prochaine note...